Et si la France appliquait le système américain ?

En ce jour d’élection présidentielle américaine, faisons un peu de politique fiction.

Imaginons que la France ait eu une histoire politique qui l’aurait amené à conserver un scrutin indirect à l’élection présidentielle, mais, à l’inverse de celui proposé en 1958 et ses 80 000 grands électeurs, celui-ci serait décentralisé, avec une ribambelle de scrutins locaux.

Un beau bordel pour pas grand chose ? Peut-être pas.

Le système américain

Les médias français adorent expliquer le mode de scrutin présidentiel américain. De la même manière que le film 15 août passe tous les ans à la date éponyme, tous les quatre ans, la presse française explique comment les choses fonctionnent de l’autre côté de l’Atlantique. Le pays de l’oncle Sam est assez exotique vu d’ici, avec ce peuple étrange qui a la liberté dans le sang et où la droite lui est dépeinte comme une confrérie de bouseux néonazis.

Ça fait du papier facile. Il suffit de faire du copier-coller de ce qu’on a déjà écrit 4 années plus tôt en l’adaptant aux deux candidats en présence, et l’intérêt permet de faire du clic.

Puisque le sujet l’impose – et aussi parce que moi aussi, j’aime faire du clic – faisons un peu de droit électoral américain.

Contrairement à la France, les Américains ne votent pas directement pour les candidats, mais pour des grands électeurs (GE). On parle de suffrage universel indirect, à la manière de ce qui a été mis en place lors de l’élection présidentielle de 1958. La grande différence tient ici à la division de l’élection par États, là où le scrutin français de 1958 était un bloc unique. Au sein de chaque État se déroule ainsi une mini-campagne présidentielle, transformant l’événement en marathon.

Ces GE correspondant au nombre de parlementaires de chaque État, soit le nombre de représentants et de sénateurs. Dans le premier cas, le nombre est proportionnel au nombre d’habitants. Le Texas a ainsi 36 représentants et la Louisiane n’en a que 6.

À l’inverse, le nombre de sénateurs est de 2 par État, quelle que soit sa démographie.

Un des objectifs principaux de ce mode de scrutin visait à éviter la centralisation et que les grands pôles des deux côtes ne prennent trop de poids par rapport aux flyover countries, ces grands États ruraux « au-dessus desquels on vole », situés dans les grandes plaines et qui ont largement contribué à l’élection du premier président orange de l’histoire des États-Unis d’Amérique.

À titre d’exemple, le Wyoming, État du nord-ouest du pays dont la superficie correspond à celle du du Royaume-Uni, mais avec la population de la ville de Lyon, a trois grands électeurs (2 sénateurs + 1 représentant). De son côté, la Californie, troisième État par sa superficie et 1er par sa population et dont est sénatrice la colistière démocrate Kamala Harris vaut 55 grands électeurs (2 sénateurs + 53 représentants).

Si l’écart semble à première vue normal au regard des populations, le vote d’un Wyomingois vaut davantage que celui d’un Californien, alors même que le premier vient de l’Etat le moins peuplé du pays. Le Wyoming a 579 000 habitants pour 3 GE. La Californie en a près de 40 millions pour 55 grands électeurs. Un grand électeur californien vaut donc 719 000 habitants, lorsque le grand électeurs wyomingois vaut 192 000 habitants. Il faut donc trois à quatre fois plus d’électeurs en Californie pour élire un seul grand électeur.

Impact des électeurs en fonction de la population des États
Crédit : I Fucking Love Maps

Dans la plupart des États américains, la règle est dite du « winner-takes-all » (le vainqueur rafle la mise), ce qui signifie que le candidat arrivé en tête dans l’État obtient l’intégralité de ses grands électeurs.

Les États-Unis étant un pays fédéral, les règles électorales dépendent d’un État à un autre. Ainsi, cette règle ne s’applique pas dans les États du Maine, à la frontière du Québec, et du Nebraska, au centre du pays, depuis respectivement 1972 et 1996. Dans ces États, 2 grands électeurs sont attribués au candidat arrivé en tête dans l’ensemble de l’État et 1 dans chaque district.

Ces GE sont au nombre de 538 et élisent réellement le président à la mi-décembre, soit un mois et demi après le jour du vote des « petits » électeurs.

Le président élu est celui qui obtient 50 % + 1 voix, soit un total de 270 voix. Dans le cas où aucun candidat n’obtient le nombre suffisant, la Chambre des représentants se charge d’élire le président. Cela arrivait notamment au XIXe siècle, où le bipartisme n’était pas aussi fort qu’aujourd’hui. Gardons cela dans un coin de la tête pour plus tard, mais notons déjà que Thomas Jefferson en a bénéficié.

Les représentants ne peuvent choisir que parmi les trois candidats ayant reçu le plus de suffrages.

Le président élu est ensuite investi le 20 janvier lors de l’Inauguration Day où il prête notamment serment sur la Bible.

Investiture de Donald Trump, janvier 2017.

Pour l’anecdote, l’élection a lieu un mardi, car le dimanche est un jour de prière. Dans un pays aussi grand, on considérait qu’il fallait une journée complète pour aller voter. L’électeur ne pouvant se déplacer qu’à partir du lundi, le jour du vote est fixé au mardi.

L’occasion d’une rapide digression sur la situation cultuelle du pays.
Contrairement à ce qu’on peut penser, les États-Unis sont un pays laïc depuis l’origine, en vertu du premier amendement garantissant une non-ingérence de l’État dans les affaires cultuelles et où la prière scolaire a été interdite dans les années 1960.
Les références religieuses, telles que le « In God We Trust » présent sur les billets en dollar, y sont essentiellement déistes, se référant à Dieu sans prendre parti, à l’exception près que cette référence place l’État fédéral dans une filiation monothéiste.
On peut donc opérer une distinction entre la laïcité française, fondée sur la neutralité et l’égalité de traitement entre les différentes confessions, et la laïcité américaine, fondée sur la liberté religieuse et la non-ingérence étatique.

Application en France

Il aurait été facile de mener notre simulation par régions, celles-ci étant moins nombreuses que d’autres circonscriptions, mais cela aurait été bien peu pertinent, les élections nationales se fondant sur l’échelon départemental. On parle de la 4e circonscription du Vaucluse, et non de la 12e de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Par tradition, prenons donc l’idée que la France aurait choisi d’avoir une élection présidentielle par département. Il existe 107 départements ou collectivités élisant des députés, incluant les collectivités d’outre-mer et les Français établis hors de France. Voici leur liste et le nombre de députés. Pour être totalement transparent, j’ai repris la liste du site Politiquemania :

  • Ain : 5
  • Aisne : 5
  • Allier : 3
  • Alpes-de-Haute-Provence : 2
  • Hautes-Alpes : 2
  • Alpes-Maritimes : 9
  • Ardèche : 3
  • Ardennes : 3
  • Ariège : 2
  • Aube : 3
  • Aude : 3
  • Aveyron : 3
  • Bouches-du-Rhône : 16
  • Calvados : 6
  • Cantal : 2
  • Charente : 3
  • Charente-Maritime : 5
  • Cher : 3
  • Corrèze : 2
  • Corse-du-Sud : 2
  • Haute-Corse : 2
  • Côte-d’Or : 5
  • Côtes-d’Armor : 5
  • Creuse : 1
  • Dordogne : 4
  • Doubs : 5
  • Drôme : 4
  • Eure : 5
  • Eure-et-Loir : 4
  • Finistère : 8
  • Gard : 6
  • Haute-Garonne : 10
  • Gers : 2
  • Gironde : 12
  • Hérault : 9
  • Ille-et-Vilaine : 8
  • Indre : 2
  • Indre-et-Loire : 5
  • Isère : 10
  • Jura : 3
  • Landes : 3
  • Loir-et-Cher : 3
  • Loire : 6
  • Haute-Loire : 2
  • Loire-Atlantique : 10
  • Loiret : 6
  • Lot : 2
  • Lot-et-Garonne : 3
  • Lozère : 1
  • Maine-et-Loire : 7
  • Manche : 4
  • Marne : 5
  • Haute-Marne : 2
  • Mayenne : 3
  • Meurthe-et-Moselle : 6
  • Meuse : 2
  • Morbihan : 6
  • Moselle : 9
  • Nièvre : 2
  • Nord : 21
  • Oise : 7
  • Orne : 3
  • Pas-de-Calais : 12
  • Puy-de-Dôme : 5
  • Pyrénées-Atlantiques : 6
  • Hautes-Pyrénées : 2
  • Pyrénées-Orientales : 4
  • Bas-Rhin : 9
  • Haut-Rhin : 6
  • Rhône : 14
  • Haute-Saône : 2
  • Saône-et-Loire : 5
  • Sarthe : 5
  • Savoie : 4
  • Haute-Savoie : 6
  • Paris : 18
  • Seine-Maritime : 10
  • Seine-et-Marne : 11
  • Yvelines : 12
  • Deux-Sèvres : 3
  • Somme : 5
  • Tarn : 3
  • Tarn-et-Garonne : 2
  • Var : 8
  • Vaucluse : 5
  • Vendée : 5
  • Vienne : 4
  • Haute-Vienne : 3
  • Vosges : 4
  • Yonne : 3
  • Territoire-de-Belfort : 2
  • Essonne : 10
  • Hauts-de-Seine : 13
  • Seine-Saint-Denis : 12
  • Val-de-Marne : 11
  • Val-d’Oise : 10
  • Guadeloupe : 4
  • Martinique : 4
  • Guyane : 2
  • La Réunion : 7
  • Mayotte : 2
  • Nouvelle-Calédonie : 2
  • Polynésie française : 3
  • Saint-Pierre-et-Miquelon : 1
  • Wallis-et-Futuna : 1
  • Saint-Martin et Saint Barthélemy : 1
  • Français établis hors de France : 11

Imaginons maintenant que chacun de ces départements comprenne le même nombre de sénateurs, et ce pour éviter, comme aux États-Unis, que les grandes métropoles ne prennent trop de poids, d’autant plus que la France est encore à 20 % rurale.

Un exercice intéressant pour voir cela est d’observer les premières estimations les soirs d’élections, à 20 heures, puis de voir ces chiffres s’affiner avec le décompte des bulletins des grandes villes, qui commence à 20 heures justement. On voit alors une hausse des candidats centristes.

Il y a, en France, 384 sénateurs. 384 / 107 = 3,59 sénateurs. Puisqu’on ne va découper des sénateurs – car je rappelle que découper des gens, c’est mal – nous allons arrondir ce chiffre. Il y aura donc 4 sénateurs par département, soit un total de 428 élus à la chambre haute.

Ajoutons donc ces 4 GE au nombre de députés de chaque département. On arrive au résultat suivant :

  • Ain : 9
  • Aisne : 9
  • Allier : 7
  • Alpes-de-Haute-Provence : 6
  • Hautes-Alpes : 6
  • Alpes-Maritimes : 13
  • Ardèche : 7
  • Ardennes : 7
  • Ariège : 6
  • Aube : 7
  • Aude : 7
  • Aveyron : 7
  • Bouches-du-Rhône : 20
  • Calvados : 10
  • Cantal : 6
  • Charente : 7
  • Charente-Maritime : 9
  • Cher : 7
  • Corrèze : 6
  • Corse-du-Sud : 6
  • Haute-Corse : 6
  • Côte-d’Or : 9
  • Côtes-d’Armor : 9
  • Creuse : 5
  • Dordogne : 8
  • Doubs : 9
  • Drôme : 8
  • Eure : 9
  • Eure-et-Loir : 8
  • Finistère : 12
  • Gard : 10
  • Haute-Garonne : 14
  • Gers : 6
  • Gironde : 16
  • Hérault : 13
  • Ille-et-Vilaine : 12
  • Indre : 6
  • Indre-et-Loire : 9
  • Isère : 14
  • Jura : 7
  • Landes : 7
  • Loir-et-Cher : 7
  • Loire : 10
  • Haute-Loire : 6
  • Loire-Atlantique : 14
  • Loiret : 10
  • Lot : 6
  • Lot-et-Garonne : 7
  • Lozère : 5
  • Maine-et-Loire : 11
  • Manche : 8
  • Marne : 9
  • Haute-Marne : 6
  • Mayenne : 7
  • Meurthe-et-Moselle : 10
  • Meuse : 6
  • Morbihan : 10
  • Moselle : 13
  • Nièvre : 6
  • Nord : 25
  • Oise : 11
  • Orne : 7
  • Pas-de-Calais : 16
  • Puy-de-Dôme : 9
  • Pyrénées-Atlantiques : 10
  • Hautes-Pyrénées : 6
  • Pyrénées-Orientales : 8
  • Bas-Rhin : 13
  • Haut-Rhin : 10
  • Rhône : 18
  • Haute-Saône : 6
  • Saône-et-Loire : 9
  • Sarthe : 9
  • Savoie : 8
  • Haute-Savoie : 10
  • Paris : 22
  • Seine-Maritime : 14
  • Seine-et-Marne : 15
  • Yvelines : 16
  • Deux-Sèvres : 7
  • Somme : 9
  • Tarn : 7
  • Tarn-et-Garonne : 6
  • Var : 12
  • Vaucluse : 9
  • Vendée : 9
  • Vienne : 8
  • Haute-Vienne : 7
  • Vosges : 8
  • Yonne : 7
  • Territoire-de-Belfort : 6
  • Essonne : 14
  • Hauts-de-Seine : 17
  • Seine-Saint-Denis : 16
  • Val-de-Marne : 15
  • Val-d’Oise : 14
  • Guadeloupe : 8
  • Martinique : 8
  • Guyane : 6
  • La Réunion : 11
  • Mayotte : 6
  • Nouvelle-Calédonie : 6
  • Polynésie française : 7
  • Saint-Pierre-et-Miquelon : 5
  • Wallis-et-Futuna : 5
  • Saint-Martin et Saint Barthélemy : 5
  • Français établis hors de France : 15

On constate ici la même dichotomie que celle entre le Wyoming et la Californie, à l’exception de la comparaison de superficie. Les limites des départements ont été calculées sur la fameuse journée à cheval, ce qui les a fait approximativement tous d’une taille similaire, mais leurs noms correspondent à quelque chose d’ancré territorialement – à l’inverse de certaines régions actuelles comme le Grand Est – et leurs limites ont été calquées sur les provinces d’ancien régime.

À titre d’exemple, l’Alsace a été divisé en 2 puis 3 départements, lorsque le duché d’Aquitaine correspond aujourd’hui à 11 départements du Sud-Ouest allant des Landes à l’Aveyron.

Comparaison entre les limites du duché d’Aquitaine (à gauche) et des départements qui lui ont succédés (à droite).

Mais en termes de population, le comparatif conserve sa pertinence. Prenons encore une fois les deux extrêmes : les 76 000 habitants de Lozère et les 2,6 millions du Nord.

Sur notre modèle, la Lozère comprend 5 GE lorsque le Nord en a 25.

Un grand électeur lozérien vaut 15 300 habitants, lorsqu’un grand électeur du Nord en vaut 104 000, et a donc besoin de plus de votes pour être élu, avec un rapport de 1 à presque 7. Ce mode de scrutin favorise donc, ici aussi, les espaces ruraux et dans le cas hexagonal, la diagonale du vide, cette zone de faible densité allant des Ardennes aux Pyrénées-Orientales.

Au niveau national, il y a donc 577 + 428 = 1005 grands électeurs. Ce qui signifie que, en vertu du principe en vigueur aux États-Unis, le vainqueur de l’élection sera celui qui obtiendra (1005/2)+1 = 502+1 = 503 grands électeurs, soit la majorité de ces derniers.

Ce nombre de grands électeurs permet de faire une nouvelle digression. Beaucoup d’entre vous l’ont sans doute déjà ou prononcé ou entendu : comparativement au nombre d’habitants, il y a beaucoup – d’aucuns diraient beaucoup trop – de parlementaires en France par rapport à d’autres pays et notamment les États-Unis d’Amérique.
Même en prenant en compte le véritable nombre de sénateurs, on obtient pour la France un total de 961 parlementaires pour 68 millions d’habitants, là où les États-Unis en comptent 538 pour 328 millions d’Américains soit 44 % de parlementaires en moins pour une population cinq fois supérieure.

Simulation de scrutin

Je précise que cette simulation portera sur le 1er tour du scrutin présidentiel de 2017, la carte du second faisant perdre à cette simulation tout enjeu.

Carte des résultats du second tour de 2017 par département

Avant de procéder au calcul, et toujours pour des raisons de transparence, voici les résultats réels du premier tour des élections par départements :

Carte des résultats au 1er tour (merci Wiki)

Une fois cela posé, voici les résultats de notre simulation, incluant le vainqueur et le nombre de GE obtenus en suivant la règle du winner-takes-all qui, comme nous l’avons expliqué, fait que tous les grands électeurs d’un même département reviennent au candidat arrivé en tête :

CANDIDATGRANDS ÉLECTEURS%
MACRON44944,67
LE PEN43443,18
FILLON626,16
MELENCHON605,97

On voit donc que ce mode de scrutin accroît les inégalités entre les deux candidats arrivés en tête et les autres.

Ces résultats sont loin de permettre de départager les candidats, étant donné qu’aucun candidat n’obtient 503 grands électeurs.

Vous vous souvenez lorsque je vous expliquais qu’aux États-Unis, le président élu était « celui qui obtient 50 % + 1 » des voix des grands électeurs et que, si « aucun candidat n’obtient le nombre suffisant, la Chambre des représentants se charge d’élire le président » ? Et bien dans le cas présent, cela aurait son intérêt.

Au moment du premier tour, l’équivalent de la Chambre des représentants en France, l’Assemblée nationale, était majoritairement socialiste.

Rappelons que, en vertu du modèle américain, les députés ne pourront choisir que parmi les trois candidats ayant reçu le plus de suffrages. Cette règle élimine ainsi dans le cas d’espèce, Jean-Luc Mélenchon.

GroupeDéputésMacronLe PenFillon
SRC28528500
LR19921*3**175
UDI2727***00
RRDP181800
GDR151500
NI26188****0
Vacants7000
TOTAL57738411175
%100 %66,55 %1,91 %30,33 %

*Dans le cas des députés LR, on se souvient que lors de la nouvelle législature, 12 députés sur 112 ont fait désaffection vers Agir, soit 11 %. Nous avons appliqué ce ratio au vote.

**Toujours chez LR, la droite populaire, composée sur la législature de 26 députés, s’est ensuite tournée vers le RN. 3 députés, Thierry Mariani, Jean-Paul Garraud et Nicolas Dhuicq, ont ensuite rejoint les rangs des soutiens au parti lepeniste.

***Le groupe UDI, quant à lui, aurait sans doute largement voté pour le candidat En Marche !, compte tenu de l’atmosphère dans laquelle s’est déroulée la campagne présidentielle du candidat LR.

****S’agissant des non-inscrits, on note que ce groupe était composé de 8 députés FN ou susceptibles de porter leurs suffrages sur la candidate du parti populiste (Ligue du Sud, DLR, MPF et CNIP).

Sauf que ce décompte est une pure foutaise, car ce n’est pas aussi simple. En effet, dans le cas américain, les représentants se réunissent par États, lesquels comptent pour une seule voix. Dans le cas français, voici ce qu’il en serait :

Couleur politique majoritaire des départements métropolitains après les élections législatives de 2012.

En tenant compte des circonscriptions d’outre-mer, on abouti au résultat suivant.

CANDIDATSNOMBRE DE DEPARTEMENTS
MACRON59
FILLON44
LE PEN0
ABSTENTION*4
*départements ne pouvant dégager de majorité en raison d’une égalité.

On constate donc que l’application de ce mode de scrutin aurait débouché sur le même résultat que celui que nous avons dans la réalité.

Le cas du vice-président

Vous le savez, les électeurs américains ne votent pas pour un seul candidat, mais pour un ticket : un candidat à la présidence des États-Unis, et un candidat à la vice-présidence.

Le vice-président américain a deux fonctions principales : il remplace le président en cas d’empêchement et préside le Sénat.

Le vice-président américain remplit donc les fonctions occupées par le président de la chambre haute dans l’Hexagone.

Poussons donc le vice jusqu’à imaginer le ticket des quatre principaux candidats :

  • Emmanuel Macron / François Patriat (sénateur de Côte-d’Or qui sera ensuite président du groupe du parti présidentiel)
  • Marine Le Pen / Stéphane Ravier (un des deux seuls sénateurs du parti en 2017 qui a en plus l’avantage d’être l’antithèse de la poissonnière : homme, sudiste et libéral)
  • François Fillon / Gérard Larcher (président du Sénat depuis 2008 avec une seule interruption de trois ans entre 2011 et 2014)
  • Jean-Luc Mélenchon / Éliane Assassi (présidente du groupe CRC au Sénat, incluant le PCF et des élus apparentés FI)

Choisir les candidats à la vice-présidence au sein des sénateurs n’est pas un pur caprice. Il correspond à une réalité statistique : sur 50 candidats à la vice-présidence des Etats-Unis entre 1920 et 2020, 27 étaient ou ont été sénateurs au moment de l’élection.
Si le choix d’un colistier est profondément stratégique, marquant par exemple l’Etat ou le type d’Etat dont on veut s’assurer le soutien (l’Indiana et le Midwest pour Trump en 2016) ou la nécessité d’un équilibre au sein du ticket (Joe Biden fût la caution « vieux blanc centriste » de Barack Obama de la même manière que Kamala Harris est la caution « jeune femme noire de gauche » de Sleepy Joe au sein du parti démocrate), envisager des sénateurs comme candidats à la vice-présidence est donc loin d’être idiot.

Rappelons que dans le cas où aucun candidat n’obtient la majorité des grands électeurs, c’est la Chambre des représentants qui élit le président, avec une voix par État ou, ici par département.

Pour le vice-président, la chose est relativement similaire, à l’exception que chaque sénateur vaut une voix.

Dans notre simulation, nous avons augmenté virtuellement le nombre de sénateurs afin d’obtenir un chiffre rond par département, mais cela ne change rien en termes de poids des différents groupes.

Après le renouvellement partiel de 2014, le Sénat est composé comme suit :

Diagramme
Wikipédia c’est cool !
  • La majorité LR-Centristes (qui sont restés dans la majorité après 2017 et donc fidèles à LR) réunit 145+38 sénateurs soit 183 sénateurs sur 348.
  • Pour correspondre au nombre de 400 sénateurs de notre simulation, il faut multiplier ce nombre par 400/348=1,149 soit 210 sénateurs.
  • La droite l’emporterait et élirait donc Gérard Larcher vice-président de la République française.

Pour aller plus loin

On pourrait pousser le vice jusqu’à envisager l’hypothèse où, le scrutin américain étant à un seul tour, l’application de ce scrutin fictif favoriserait la concentration des candidatures autour de grands pôles que sont l’extrême gauche, la gauche, le centre, la droite et la droite radicale, et ce bien plus que ce ne fût le cas en 2007 où le traumatisme de l’élection précédente avait rendu le pays obsédé par le vote utile.

Si la plupart des candidats étaient simples à classer, je dois avouer que Jean Lassalle m’a donné du fil à retordre.

L’emblématique député béarnais, bien qu’ami de toujours de François Bayrou et considéré comme de centre-droit, Jean Lassalle a reçu le soutien de Gérard Schivardi, ancien candidat du Parti Ouvrier Indépendant aux élections présidentielles de 2007 et a donné son parrainage à Philippe Poutou. De plus, le positionnement idéologique de son mouvement, localiste et souverainiste, le situe sur un axe entre Mélenchon et Le Pen sans permettre de trancher.

Les différentes maigres lectures que j’ai pu trouver indiquaient une répartition assez équitable entre abstention, vote Macron et vote Le Pen au second tour, avec une préférence pour le premier, ajoutant une confusion supplémentaire à ce positionnement.

Par facilité assumée, je l’ai donc gardé dans l’étude.

Inclassable.

Les candidats en questions seraient les suivants, avec, entre parenthèses, les candidats dont les scores seront adjoints du fait de leur positionnement :

  • Jean-Luc Mélenchon (avec Jacques Cheminade, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud)
  • Benoît Hamon
  • Emmanuel Macron
  • François Fillon
  • Marine Le Pen (avec Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau)
  • Jean Lassalle

Je dois avouer que par manque de temps et d‘énergie – ayant passé la nuit de dimanche à lundi sur le présent article – il m’a été impossible de procéder à une telle simulation en l’état, mais les scores auraient sans doute légèrement favorisé la candidate du Rassemblement national. Voici, à titre d’exemple, la repartition nationale :

CandidatScore réelScore simulé
Macron24,024,0
Le Pen21,326,9
Fillon20,020,0
Mélenchon19,621,5
Hamon6,46,4
Lassalle1,21,2

En faisant un simple produit en croix, on peut toutefois imaginer une répartition des grands électeurs de la manière suivante :

  • Le Pen : 490
  • Macron : 401
  • Fillon : 55
  • Mélenchon : 59

On n’est pas arrangé, en particulier si on prend en compte les 2 derniers candidats, dispersant une fois de plus les suffrages.

On serait sans doute tombé encore une fois dans la situation d’une élection se jouant aux chambres, avec pour différence l’élimination de Fillon du trio de tête et donc des candidats à ce troisième tour. Emmanuel Macron aurait sans doute été élu mais avec cette fois François Patriat à la vice-présidence.

De plus, cette dernière simulation est très théorique. Un front républicain dès le premier tour aurait sans doute défavorisé la candidature FN et il n’est pas certain que, politiquement, Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jacques Cheminade et François Asselineau eussent accepté de se greffer sur d’autres candidats.

Épilogue : Quels seraient les swing-states français ?

Principal enjeu des élections américaines, les fameux swing states, ou États pivots, sont ces États qui peuvent changer de couleur politique au gré des élections.

Ils comprennent généralement :

  • La Floride
  • L’Ohio
  • La Géorgie
  • L’Iowa
  • La Caroline du Nord

Peuvent s’y ajouter d’autres États selon les circonstances, comme le Texas qui pourrait basculer démocrate avec le scrutin d’aujourd’hui ou la Pennsylvanie dans le sens inverse.

En vert sont indiqués les swing states habituels.
En vert clair, les swing states supplémentaires de 2020.

Au total, cette année, sur les 50 États du pays, on en décompte 15 susceptibles de virer leur cuti.

Quels seraient les équivalents de ces États pivots dans notre simulation ?

Pour déduire quels seraient ces « départements pivots », prenons les cartes des résultats des candidats arrivés en tête au premier tour dans chaque département des 25 dernières années, soit la durée d’une génération.

Pour des raisons de facilité, nous distinguerons uniquement selon que le candidat arrivé en tête est de droite / RN (bleu) ou centriste / de gauche (rouge). Cette distinction est toutefois loin d’être arbitraire, la carte du vote Macron au 1er tour de 2017 collant avec celle du vote de gauche dans les scrutins antérieurs.

L’intensité de la couleur correspond au nombre de fois où le département a voté dans un sens.

Sur cette carte, les départements-pivots sont les plus proches du violet, ce qui nous amène à un nombre de 15, soit autant qu’outre-Atlantique pour 2 fois plus de circonscriptions :

  • L’Ain
  • Les Alpes de Hautes-Provence
  • Le Doubs
  • L’Eure
  • L’Eure-et-Loir
  • Le Gard
  • Le Jura
  • Le Loir et Cher
  • Le Loiret
  • Le Lot et Garonne
  • L’Oise
  • Le Rhône
  • Le Tarn et Garonne
  • Les Vosges
  • L’Yonne

On note ainsi que ces départements ne sont pas, à la manière du pays de l’Oncle Sam, forcément les plus ruraux. Les deux-tiers de ces départements se situent en couronne de Paris, de Lyon mais également de Genève avec l’espace jurassien, ce qui correspond aux espaces regroupant le plus de pouvoir d’achat dans ce pays.

On constate donc deux axes :

  • D’une part, comme nous l’avons vu en traitant de la répartition des grands electeurs, ce mode de scrutin donne plus de poids aux zones très peu peuplées, telles que la fameuse diagonale du vide.
  • D’autre part, la question des départements pivots montre qu’il favorise également l’intérêt des périphéries aisées de grandes métropoles.

Ce mode de scrutin défavoriserait donc largement les centres urbains, en favorisant les périphéries qu’elles soient les plus riches et les plus pauvres, soit le cœur sociologique de la droite française : les classes moyennes rurales et périurbaines ainsi que la bourgeoisie provinciale.

Beaucoup de bordel pour rien … vraiment ?

En guise de conclusion, si je ne suis pas favorable à son introduction et qu’il serait aisé de se dire que serait surtout un beau bordel pour pas grand-chose, il favoriserait, comme aux États-Unis, les ruraux, et rééquilibrerait l’attention politique en même temps qu’il favoriserait le consensus.

Sur le plan électoral, ce mode de scrutin imposerait d’aller chercher les électeurs des zones les moins densément peuplées, et favoriserait donc l’intérêt électoral de la France périphérique aujourd’hui au cœur de la fracture territoriale. Il aurait donc sans doute toute sa place dans une France en proie à une fracture entre centre et périphérie, en particulier dans l’optique de redonner au pays réel la place qu’il n’aurait jamais du quitter.

Sur le plan politique, l’objectif d’aboutir à la majorité des grands électeurs imposerait d’adopter un fonctionnement bipartisan à l’américaine, bien plus polarisé que ne l’a jamais été la vie politique française y compris dans les années 1970-1980, au temps béni de l’opposition PCF-PS / UDF-RPR. Il contraindrait les partis politiques à un consensus intrapartisan : une union des droites et des gauches. À droite, une union d’électorat, la seule possible en raison des velléités d’hégémonie du RN rendant tout union partisane impossible – j’en sais quelque chose, ayant passé 2 ans entre début 2012 et fin 2013 dans un parti fondé sur le concept d’union des droites avant de comprendre que c’était une chimère – et qui a permis la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007. À gauche, une union partisane dont la manifestation la plus connue fût la campagne de 1981.

Ces intérêts ajoutés à son caractère profondément révolutionnaire dans un pays aussi empreint de bonapartisme rendent cette introduction impossible mais permettent d’interroger sur les moyens qui permettront, demain, de favoriser davantage de décentralisation dans le canon traditionnel français.

Et là dessus, vous le savez, j’ai déjà ma petite idée.

Bonus 1 : la Rust Belt française

En vert, les anciennes régions industrielles en difficulté de reconversion (houillères, extraction, charbonnerie et sidérurgie) dont le tracé longe parfaitement la mégalopole européenne marquée par l’axe rhénan, ici en bleu.
Un petit rappel des cours de géographie du secondaire.

Bonus 2 : Mur bleu, mur rouge

En rouge, les départements votant à gauche à chaque élection. En bleu, départements votant à droite à chaque élection. Cette carte tient compte des résultats depuis 1995, soit sur une génération.

8 commentaires sur « Et si la France appliquait le système américain ? »

  1. J’ai pensé au système électoral à préférences multiples ordonnées. Vous numérotez par ordre de préférence vos candidats, de 1 à 11 pour 2017. Si personne est arrivé majoritairement comme premier choix (6 fois première place sur 11), on passe à voir qui est arrive majoritairement comme deuxième choix, puis troisième… Par une projection, au bout du 4ème choix on arrive à Jean Lassalle comme vainqueur, il serait celui qui serait accepté par une majorité consensuelle, ce qui éviterait d’avoir un président élu « par une majorité » en deux tours et avoir tous les deux pouvoirs. On sélectionnerait plus le président pour sa personnalité, son consensus son parcours politique que par son programme.

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    1. La piste dégagerait sans doute les candidats les moins clivants au final.
      Science étonnante, dans un article que j’ai rattaché à celui-ci par ping, évoque cette option. Cependant, elle exigerait plus de deux tours de scrutins, et si telle procédure peut être acceptable pour les élections où seul vote un nombre réduit de personnes (typiquement l’élection du pape, la dernière ayant nécessité 5 tours), la chose est plus compliquée pour un corps électoral de 44 millions de personnes.

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